28 mai 2025
Budget agricole européen et pac post-2027
Vision et positions de la FUGEA - lire la version PDF
1 CONTEXTE
Les négociations pour la PAC post 2027 ont commencé. Les défis sont immenses pour un secteur agricole européen qui enchaînent les crises, dénoncées lors des colères agricoles de l’hiver dernier 2024-2025. Sur le terrain, la population agricole disparait, les revenus agricoles sont trop faibles et instables, les fermes s’agrandissent et des milliers de fermes seront à remettre en raison du vieillissement des agriculteurs et agricultrices. Les crises environnementales s’enchainent avec le bouleversement climatique, l’érosion de la biodiversité ou les pollutions des écosystèmes (PFAS récemment). Le modèle agricole dominant présente des dépendances (importations d’engrais minéraux ou de soja pour l’alimentation animale) et donc des vulnérabilités qui sont mises en lumière par les tensions géopolitiques actuelles. Au bout de chaîne, la hausse de la précarité alimentaire est alarmante tout comme les problèmes de santé liés à notre alimentation.
Aucun statu quo n'est possible face aux défis d’aujourd’hui et de demain. Le mur du renouvellement des générations est devant nous. En Wallonie, 8 000 fermes seront à remettre dans les prochaines années et seuls un quart ont des repreneurs identifiés.
En première ligne, les agriculteurs et agricultrices savent qu'il faut adapter leurs fermes pour absorber les chocs présents et futurs. Nos pratiques doivent évoluer pour améliorer notre résilience mais aussi préserver les écosystèmes et notre santé. A la FUGEA, nous sommes convaincus qu’il faudra miser sur l’autonomie des fermes, couplée à la relocalisation de nos productions, elle sera la base de notre souveraineté alimentaire. La transition du modèle agricole et alimentaire est urgente et nécessaire. Ces évolutions sont en cours sur le terrain mais pour les amplifier, il faut des soutiens politiques concrets et stables. C’est le chantier du siècle pour notre agriculture.
La politique agricole (PAC) doit y jouer un rôle central vu son impact sur le modèle agricole et le quotidien de nos fermes. Au cours des prochaines semaines, les décideurs européens vont se positionner sur le budget et sa structuration au travers des négociations du cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2028-2034. La commission publiera par la suite sa proposition de réforme pour la PAC post-2027. Pour la FUGEA, c’est une étape cruciale pour aboutir à une PAC capable de maintenir et installer un maximum d’agriculteurs et agricultrices, soutenir la transition de nos pratiques et l’autonomie de nos fermes, relocaliser les productions dans une logique de souveraineté alimentaire.
Notre boussole est claire : miser sur la régulation des marchés pour assurer des prix justes et stables. Mais, en complément, le soutien financier public demeure indispensable pour relever les défis de demain. C’est pourquoi, l’Union européenne doit conserver un budget fort et distinct pour la PAC, ce qui sera déterminé par les négociations du CFP. L’enjeu sera aussi d’utiliser cet argent de façon stratégique, avec un meilleur ciblage et une répartition plus juste des aides. Ces positions sont détaillées dans cette note.
2 UNE REGULATION DES MARCHES POUR DES PRIX JUSTES ET STABLES
Lors des mobilisations agricoles en 2024, la FUGEA et d’autres acteurs du monde agricole partout en Europe ont rappelé une réalité intenable : les agriculteurs et agricultrices vendent trop souvent leurs produits à des prix inférieurs aux coûts de production. Surtout, ces prix sont instables et varient en fonction de paramètres que nous ne maîtrisons pas. Cette volatilité fragilise profondément nos fermes et leurs évolutions.
Le cap de la nouvelle PAC est clair : des prix justes et stables pour les agriculteurs et agricultrices européens, qui permettent de couvrir nos coûts de production, de dégager un salaire et d’assurer une protection sociale. Ces conditions sont essentielles pour relever les défis du renouvellement des générations et de la transition des pratiques agricoles.
Face à cet enjeu, il est aujourd’hui indispensable de réformer l’Organisation Commune des Marchés (OCM) en renforçant les mécanismes de régulation des prix et de maîtrise des volumes de production pour sortir de la volatilité des marchés. La prochaine OCM doit aussi permettre une régulation et un contrôle des importations, renforcer la prévention et la gestion des crises, développer le stockage de la production, et renforcer les organisations des producteurs au sein des filières.
En parallèle de cette réforme de l’OCM, la FUGEA défend un renforcement de la directive sur les Pratiques Commerciales Déloyales (UTP), afin de réellement interdire l’achat à des prix inférieurs aux coûts de production dans les différents pays européens. Aussi, il est urgent de sortir l’agriculture des accords de libre-échange et construire un cadre commercial basé sur la coopération et la souveraineté alimentaire. La libéralisation des échanges agricoles est en effet incompatible avec les prix justes et stables. Le contexte géopolitique actuel nous rappelle plutôt l’urgence de réguler les marchés, relocaliser les filières et reconstruire notre souveraineté alimentaire.
Pour la FUGEA, cette régulation des marchés permettrait aussi un meilleur usage du budget de la politique agricole commune (PAC). En effet, une fois la condition des prix stables et rémunérateurs assurée, les aides compensatoires pourraient plus facilement être utilisées pour soutenir la transition des pratiques agricoles, les petites et moyennes exploitations ou encore l’installation des jeunes.
3 UN BUDGET FORT ET DEFINI AU NIVEAU EUROPEEN
Le soutien financier public demeure indispensable pour sauver nos fermes et soutenir la transition du modèle agricole et alimentaire. Vu les défis auxquels fait face le monde agricole, l’Union européenne doit conserver un budget fort pour la PAC. Après deux programmations aux budgets rabotés et non indexés, il est inenvisageable que la prochaine enveloppe soit elle aussi réduite. Le budget de la PAC doit, à minima, suivre l’inflation des dernières années.
Surtout, la FUGEA s’oppose à l’approche visant à renationaliser un maximum le budget de la PAC (regroupement de la PAC avec d’autres programmes au sein d’un bloc de financements qui serait ensuite géré au niveau national via des plans nationaux). Cela pourrait se traduire par des pertes de budget au profit d’autres activités. Surtout, cette renationalisation éloignerait l’Europe d’une politique agricole « commune », menaçant l’harmonisation des règles au sein du marché intérieur. En outre, cela pourrait aussi conduire à une course vers le bas des ambitions sociales et écologiques au sein des États membres. La FUGEA défend donc un budget PAC fort et distinct.
La FUGEA veut par ailleurs garder deux piliers distincts. Nous plaidons pour un pilier 1 entièrement financé par l’Union européenne pour garder une politique cohérente au sein des états de l’Union. Nous défendons un pilier 2 fort pour soutenir la transition des pratiques vers l’agroécologie et permettre des aides à l’installation afin d’assurer la relève dans nos exploitations.
Pour la FUGEA, le financement de la PAC et celui de la gestion des risques, doivent reposer sur des systèmes publics. Ils ne doivent pas faire l’objet d’un marché privé (carbone, biodiversité) ni être alimentés par des acteurs privés. Les intérêts du secteur privé, visant la rentabilité économique et misant parfois sur le greenwashing, ne rejoignent pas ceux de l’intérêt général ni les enjeux à long terme.
4 UNE DISBTRIBUTION DES AIDES PAC MIEUX CIBLEE ET PLUS JUSTE
Si la FUGEA défend un budget PAC fort, il est aussi crucial que cet argent soit utilisé de façon stratégique. Malgré des évolutions positives lors de la dernière programmation, la répartition des aides doit être adaptée. Il faut un meilleur ciblage des aides et une répartition plus juste pour soutenir les vrais agriculteurs et agricultrices, maintenir un maximum de fermes et réussir le renouvellement des générations, soutenir l’évolution des pratiques vers l’agroécologie, conserver et diversifier nos productions.
4.1 Définition agriculteur actif
Notre syndicat défend un modèle agricole durable, porté par des hommes et des femmes qui gagnent leur vie en travaillant eux-mêmes la terre, sur des fermes nombreuses et dynamiques. Ce sont ces agriculteurs et agricultrices qui doivent percevoir ces aides PAC et correspondre à la définition de l’ « agriculteur actif ».
Or sur le terrain, ils et elles sont de plus en plus remplacés par des propriétaires terriens, possédant le capital foncier, qui valorise directement leurs terres sans les travailler eux-mêmes. Certains se spécialisent dans les contrats de culture en louant leurs terres à l’année, via des contrats pommes de terre ou des ventes d’herbe. D’autres passent par des sociétés de gestion ou font tout faire par des entreprises agricoles. Ces gestionnaires doivent à tout prix être exclus de la définition de l’agriculteur actif.
Pour la FUGEA, la définition de l’agriculteur actif doit être renforcée. Pour être considéré comme véritable agriculteur et ainsi bénéficier du soutien de la PAC, les agriculteurs et agricultrices doivent remplir un certain nombre de conditions (minimum de formation ou expérience agricole, moyens de production, rentrées financières issues de l’agriculture, etc.)
4.2 Cibler les aides vers les actifs agricoles
La logique du paiement de base à l’hectare a poussé à l’agrandissement des fermes et l’intensification des pratiques. La FUGEA plaide pour une sortie de ce modèle en ciblant les aides à l’actif agricole. Cela passe par un renforcement du paiement redistributif qui devrait être fixé à minimum 20% du pilier 1. Aussi, il est nécessaire d’activer des plafonds et de seuils de dégressivité pour tous les différentes types d’aides (aujourd’hui, seules certaines enveloppes en sont dotés). Le développement d’aides spécifiques aux productions sur petites surfaces est aussi une solution (comme l’aide bio maraîchage diversifiée en Wallonie). L’objectif est de privilégier l’emploi agricole dans des fermes nombreuses plutôt que l’agrandissement des structures. L’enjeu est crucial pour le renouvellement des générations, nous devons garder des fermes à taille humaine pour qu’elles restent transmissibles.
4.3 Plafonnement et dégressivité obligatoire
Le plafonnement et la dégressivité sont des outils de légitimité et d’équité de la PAC. La FUGEA demande un plafonnement et une dégressivité obligatoire des aides de la PAC pour tous les États membres. Ce plafonnement doit s'appliquer sur le montant total des aides perçues par les fermes et être calculé par agriculteur actif.
Foncier agricole et aides PAC
La réalité du terrain est claire : l’accès durable au foncier est devenu quasi impossible pour les agriculteurs et agricultrices en Wallonie (prix moyen de 40 000 €/ha et bail à ferme de plus en plus contourné). C'est une menace face aux enjeux du renouvellement des générations et de la transition des pratiques. Pour la FUGEA, la PAC est un instrument précieux pour limiter la pression foncière et éviter la rétention des terres. Différents leviers peuvent être activés comme le plafonnement des aides ou l’augmentation du paiement redistributif qui permettent de sortir de la course à l’agrandissement et donc aux terres. Le renforcement de la définition de l’agriculteur actif permet d’éviter l’accaparement des terres par d’autres acteurs.
4.4 Conditionnalité commune (BCAE)
Pour la FUGEA, il est nécessaire d’assurer un socle minimal à respecter pour bénéficier des paiements de la PAC (protection des sols, rotation des cultures, maintien des éléments du paysage, etc.). C'est l’objectif des Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales (BCAE) qui doivent avoir une base commune au niveau européen pour éviter un nivellement vers le bas. L’enjeu est d’avoir des mesures favorisant réellement l’agronomie et l’environnement et ne rajoutant pas de complexité administrative (notamment à cause de dates arbitraires). Si des mesures entrainent des coûts importants pour les agriculteurs et agricultrices, il faut pouvoir les rémunérer dans une logique de paiements de services environnementaux et sociétaux. Vu que la période d’application de PAC actuelle a été raccourcie (5 années au lieu de 7) et que certaines BCAE ont été définies tardivement, nous demandons une certaine stabilité des mesures afin de laisser au monde agricole le temps nécessaire pour s’adapter aux nouvelles réglementations. Outre les BCAE, la FUGEA défend aussi la conditionnalité sociale pour garantir la protection des travailleurs et travailleuses agricoles.
4.5 Transition vers des pratiques agroécologiques
Depuis toujours, la FUGEA défend l’idée qu’agriculture et environnement sont indissociables. En aucun cas ils ne doivent être opposés comme certains ont tenté de le faire lors des dernières mobilisations agricoles. Nous défendons un modèle agricole capable de conjuguer, sur un même espace, production alimentaire et préservation de l’environnement. La transition est en cours sur le terrain. La PAC doit aussi soutenir les pratiques répondant aux enjeux agronomiques, environnementaux, de santé humaine et de bien-être animal.
La FUGEA plaide pour un maintien du dispositif éco-régimes qui devrait atteindre au minimum 30% du pilier 1 et qui devraient contenir des mesures favorisant réellement l’agriculture agro-écologique dans tous les Etats membres (nous considérons que les mesures wallonnes vont dans la bonne direction). Ces mesures annuelles rencontrent un certain succès, les agriculteurs-trices osant plus facilement se tester pendant un an. Elles doivent cependant être complétées par des mesures pérennes comme les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC) et le Bio. Pour la FUGEA, il est primordial que ces dispositifs soient correctement financés et soient maintenus dans le pilier 2.
Agriculture bio et PAC
Vu les externalités positives de l’agriculture bio, ce mode de production doit être soutenu par la PAC. C’est notamment un élément essentiel pour la réduction de l’usage des pesticides en Europe et en Wallonie. Pour la FUGEA, un enjeu clé est de conserver les aides bio dans le pilier 2 comme c’est le cas dans le plan stratégique wallon. Cela permet aux agriculteurs bio de cumuler les éco-régimes du pilier 1 avec des aides spécifiques dans le pilier 2. Placer le bio dans les éco-régimes pénaliserait économiquement les agriculteurs bio mais aussi les conventionnels engagés dans des pratiques durables qui n’auraient plus accès à une partie significative de l’enveloppe éco-régimes.
4.6 Aides couplées
Les aides couplées sont un moyen de mieux cibler les aides vers les productions en difficultés économiques et/ou déficitaires. La FUGEA défend notamment les aides couplées pour le secteur de l’élevage et des protéines végétales. En élevage, il est primordial que ces aides soient correctement calibrées en intégrant des plafonds notamment selon le nombre d’animaux par agriculteur actif. La réflexion sur les aides couplées doit se faire en tenant compte des autres dispositifs d’aides (par exemple les aide couplées bovins et ovins avec l’éco-régime prairies permanentes).
Maintien des prairies permanentes et de l’élevage bovins
La préservation des prairies permanentes est une nécessité agronomique et environnementale. En Wallonie, depuis 1990 nous avons perdu 60.000 ha de ces précieux agroécosysstèmes avec des impacts sur l’érosion des sols ou la perte de biodiversité. La PAC doit soutenir ces surfaces et les élevages qui les préservent. Cela passe par des aides couplées (notamment pour la filière bovin viande en difficulté) et des éco-régimes/MAEC soutenant les systèmes d’élevages herbagers et autonomes.
4.7 Installations et transmissions
Le renouvellement des générations doit être une priorité. En Wallonie, sur les 12 500 fermes en activité, 8 000 seront à remettre dans les prochaines années. Et seuls 22% des agriculteurs et agricultrices ont des repreneurs identifiés. La PAC doit assurer à un soutien économique à celles et ceux qui s’installeront ou reprendront des fermes avec des budgets d’aides à l’installation à la hauteur des enjeux. Cela passe aussi par une revalorisation du paiement pour les jeunes agriculteurs qui au niveau européen représente moins de 2% du pilier.
4.8 Investissements
La mise en place de pratiques agroécologique, la diversification des productions ou la recherche d’autonomie représentent parfois des investissements importants. La FUGEA plaide pour des aides à l’investissement permettant d’améliorer la résilience des fermes et la relocalisation des filières de production (outil de transformation en collectif ou à la ferme, de commercialisation en circuits courts, etc.).
4.9 Agriculture nourricière
Pour les agriculteurs et agricultrices de la FUGEA, la finalité de notre métier est de produire pour nourrir. Les soutiens de la PAC doivent être exclusivement dédiées à la production alimentaire et non à l’utilisation de la terre pour d’autres usages comme la production d’énergie (agrocarburants, méthanisation, agrivoltaïsme) ou les productions non comestibles (sapins de Noël). Certaines surfaces doivent donc sortir des aides de la PAC (p.ex. agrivoltaïsme). Pour d’autres, cela doit se faire sur base de la culture et de sa destination finale (p.ex. maïs pour biométhanisation).
4.10 Aides au développement rural
Pour la FUGEA, les aides du pilier 2 qui ne sont pas directement aux agriculteurs et agricultrices doivent rester liées au monde agricole. Cela peut être pour des projets de développements de filières territoriales, de renforcement des liens entre citoyen.ne.s et agriculteurs-trices ou pour revaloriser l’image de notre métier.
5 UNE PREVENTION DES RISQUES ET UNE GESTION MUTALISEE
Pour prévenir les risques et les chocs à venir, la FUGEA rappelle que la priorité est de rendre nos fermes plus résilientes. Cela passe par une adaptation des pratiques et des systèmes, qui doivent être soutenus par les aides de la PAC (éco-régimes, bio, maec, aides à l’installation et l’investissements, etc.). Mais vu les chocs climatiques et sanitaires qui seront plus forts et plus intenses, nos fermes auront besoin de filet de sécurité pour se maintenir et s’adapter dans la durée.
Dans notre vision, la régulation des marchés, via le règlement OCM, permettrait d'éviter les crises économiques liées à la volatilité des prix. La réserve de crise pourrait ainsi être consacrée à la gestion des crises climatiques et sanitaires. Cette réserve de crise doit être dotée d’un budget fort à la hauteur des enjeux et d’un fonctionnement permettant de réagir de façon rapide et coordonnée pour indemniser les agriculteurs et agricultrices impactés.
Pour la FUGEA, les assurances privés ou semi-privées ne sont pas le bon outil pour protéger un maximum de fermes. La PAC ne doit pas alimenter ce genre de systèmes mais bien soutenir les systèmes encadrés par les pouvoirs publics et alimenté par tous les acteurs des filières.
Contacts FUGEA
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