par Timothée PETEL - chargé de mission - Politique
Le 20 février, nous nous sommes réunis à Gembloux pour notre Congrès annuel. L'objectif était de présenter et débattre autour de l'étude du Shift Project « Pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère » avec nos membres et des décideurs politiques. Trois enjeux ont été discutés: énergie et agriculture, cycle de l’azote et transition des modèles agricoles. À chaque table ronde, le Shift Project a présenté des résultats spécifiques, la FUGEA a rappelé nos positions, et le ou la Ministre compétent.e a expliqué sa vision et ses propositions. Voici un résumé de cette soirée instructive.
L’ÉTUDE DU SHIFT PROJECT
Le congrès a débuté par une présentation de Corentin Biardeau, expert au Shift Project. Cette association française, fondée par Jean-Marc Jancovici, travaille sur la décarbonation et la transition
énergétique. Depuis 2023, elle se concentre sur l’agriculture et l’alimentation. Fin 2024, le Shift Project a publié une étude pour imaginer la transformation du système agricole français vers une agriculture bas carbone et prospère. En parallèle, ils ont mené une consultation des agriculteurs, réunissant 7 711 répondant·es.
LES ÉNERGIES FOSSILES ET LA MÉTAMORPHOSE DU SECTEUR AGRICOLE
Dans les années 1960, le monde agricole a vécu une métamorphose: les énergies fossiles ont remplacé les énergies humaines et animales. Ces sources d’énergie ont accompagné deux changements majeurs dans nos fermes. Le premier est le est le passage de la traction animale à la motorisation agricole. Le pétrole, base de nos carburants, représente maintenant 72% des consommations d’énergie des fermes. Le deuxième est l’utilisation d’engrais azotés fabriqués à partir de gaz fossile, base de la fertilisation des cultures dans le modèle agricole conventionnel.
Ces changements ont permis une explosion des rendements et de la productivité. La production agricole s’est ainsi envolée jusqu’au début des années 2000. Dans le même temps, la population agricole s’effondrait, passant d'un tiers de la population française en 1950 à seulement 3% aujourd’hui.
Par ailleurs, c’est aussi la disponibilité des énergies fossiles qui a permis la spécialisation des fermes et des territoires. Les carburants bon marché sont essentiels pour faciliter le transport des marchandises entre les zones spécialisées en grandes cultures, élevage, maraîchage…
Figure 1 : Evolution de l’utilisation d’énergie en agriculture selon les différentes sources. Les dépenses énergétiques pour l’alimentation des paysans (« farmer food » en vert) et celles pour des animaux de trait (« draft animals maintenance and production » en bleu) sont remplacées en 1960 par l’utilisation d’énergies fossiles notamment les engrais (« fertilizers » en rose) et le carburant des machines (en rouge). La courbe en rouge correspond à l’évolu-tion de la production nette. Données exprimées en Pétajoules (PJ). Source : Harchaoui S. et Chatzimpiros P. (2018)
DÉPENDANCE ET IMPACTS DU SECTEUR AGRICOLE
Le secteur agricole est fortement dépendant des énergies fossiles, tant pour la production que pour le transport des produits. Cette dépendance nous rend vulnérables aux chocs énergétiques et aux décisions des principaux pays exportateurs de pétrole. De plus, l'agriculture française repose sur des importations pour deux intrants importants pour de nombreuses fermes : les engrais minéraux, dont 75 % proviennent principalement de Russie, et le soja, dont les deux tiers sont importés, principalement du Brésil. Ce manque d'autonomie et ces dépendances fragilisent notre souveraineté alimentaire, ce qui est particulièrement préoccupant dans le contexte actuel des tensions géopolitiques.
Le système agricole a des impacts sur le climat et les écosystèmes. L’agriculture est un système émetteur de gaz à effet de serre via le méthane (CH4), émis par le cheptel de ruminants, le protoxyde d’azote (N20) issus des engrais et le dioxyde de carbone (CO2) des machines et transport. Notre modèle agricole a également des impacts sur la biodiversité, la qualité de l’eau, la santé, etc.
Dépendant directement des conditions pédoclimatiques, nos fermes sont aussi très vulnérables face au changement climatique et ses conséquences (hausse des températures, sécheresses ou excès d’eau, etc.). Continuer à faire évoluer nos pratiques et s’améliorer est donc une nécessité.
LES SCÉNARIOS DU SHIFT PROJECT
Pour réduire sa dépendance aux énergies fossiles, diminuer ses émissions de GES et s’adapter aux nouvelles conditions climatiques, le secteur agricole doit s’adapter. Différents leviers existent : réduire l’utilisation d’énergie, revoir la fertilisation des cultures, faire évoluer les systèmes d’élevage, etc. Le Shift Project a combiné ces leviers dans dif-férents scénarios :
- Meilleure autonomie agricole et ali-mentaire nationale ;
- Contribution à l’indépendance éner-gétique nationale ;
- Contribution à la sécurité alimentaire internationale ;
- Scénario de conciliation.
TABLE RONDE 1 : AGRICULTURE ET ÉNERGIE
Lors de la première table ronde axée sur l’énergie et l’agriculture, le Shift Project a rappelé les trois objectifs clés de son étude : réduire la consommation d’énergie (par une meilleure efficacité et des changements systémiques), décarboner l’énergie résiduelle via l’électrification et développer la production de biogaz et de biocarburants.
Marie-Aline Cornu, administratrice de la FUGEA, a insisté sur l’importance de réduire notre consommation énergétique pour limiter notre dépendance et notre impact sur le climat. Les pratiques défendues par la FUGEA, axées sur l’autonomie des fermes, y contribuent pleinement.
Sachant que l’utilisation d’énergie ne pourra pas être réduite à zéro, d’autres énergies devront se développer pour se substituer au pétrole ou au gaz. Ces projets doivent cependant être encadrés afin d’éviter des effets négatifs sur le secteur agricole, comme nous le constatons trop souvent sur le terrain. Les fondamentaux de la FUGEA sont :
- L’usage premier de nos terres doit rester la production nourricière ;
- La production d’énergie ne doit pas pousser à l’industrialisation des pratiques ;
- Le développement des projets énergétiques doit privilégier des projets qui ne renforcent pas la crise du foncier agricole en Wallonie.
La Ministre Céline Neven, chargée de l’énergie et du plan air-climat, a rassuré les participants sur ces préoccupations. Elle a affirmé que la souveraineté alimentaire et l’accès au foncier resteraient des priorités. Interrogée sur le développement de l’agrivoltaïsme, elle a indiqué travailler sur ce dossier avec la Ministre Dalcq, mais n’a pas fourni de réponse définitive. Elle a réaffirmé la nécessité d’une trajectoire claire pour sortir des énergies fossiles et a souligné l’urgence d’agir.
TABLE RONDE 2 – AGRICULTURE ET AZOTE
Le cycle de l’azote, élément central du système agricole, a été discuté dans la 2e table ronde. Les scénarios du Shift Project prévoient une réduction des besoins en azote et un recyclage maximisé grâce aux légumineuses et aux couverts végétaux. En élevage, les systèmes autonomes et basés sur la prairie sont préservés avec un cheptel qui continue de diminuer (mais moins que la tendance des dernières années).
Simon Leriche a rappelé que la FUGEA plaide pour un model basé sur l’autonomie des fermes permettant une moindre dépendance aux engrais minéraux. Comme dans l’étude du Shift, les leviers clés dans nos fermes sont l’élevage à l’herbe et aux légumineuses. Ces modèles doivent être soutenus politiquement (via la PAC et le PGDA) et économiquement avec des filières à prix justes.
Pour le Ministre Coppieters, l’élevage à l’herbe a tout son intérêt en particulier dans l’approche « One health » (une seule santé) qu’il défend. Il faut selon lui soutenir les modes de production conciliant santé et environnement. ll a défendu l’utilisation des effluents d’élevage dans une logique de circularité et le recours aux légumineuses. Une révision du PGDA a été annoncée. Le Ministre a été amené à se prononcer sur l’usage du glyphosate notamment pour le semis direct (pratique clé des scéna-rios du Shift Project). S’il a rappelé sa volonté de réduire l’usage des pesticides, la stratégie ne semble pas encore établie.
TABLE RONDE 3 – MODÈLES AGRICOLES ET TRANSITION
Pour le Shift et la FUGEA, la transition du modèle agricole et alimentaire est urgente et nécessaire. Notre vice-présidente Claire Vanhoomissen a rappelé que les solutions portées par la FUGEA (autonomie des fermes, élevage à l’herbe, cou-verture des sols…) sont des leviers essentiels pour renforcer la résilience du secteur. Comme l'écrasante majorité des répondants de la "Grande Consultation des Agriculteurs" menée par le Shift, nos membres sont prêts à accélérer leur évo-lution. Toutefois, cette transition doit être sou-tenue par des mesures économiques et politiques concrètes. Des actions rapides et coordonnées sont indispensables de la part du gouvernement wallon.
En conclusion, la Ministre Dalcq a souligné l’importance des enjeux économiques pour nos fermes, rappelant que la construction de prix justes est au cœur des travaux de la Task Force Agroalimentaire au fédéral. Elle n’a pas indiqué quels modèles agricoles elle souhaitait soutenir en priorité, insistant plutôt sur la diversité des systèmes. Sur la future PAC, la Ministre misera sur la stabilité, notamment concernant les éco-régimes. Parmi les autres priorités : le développement d’une marque repère pour les consommateurs, le soutien à la recherche et la facilitation des analyses de sols pour les agriculteurs.
Figure 2 : Résultat de la consultation menée par le Shift Project de juin à octobre 2024 - Échantillon représentatif de 7 711 agriculteurs
LE CONGRÈS VÉCU PAR DEUX MEMBRES DE LA FUGEA
En tant que jeunes, membres de la section locale de Namur, nous avons vécu une soirée enrichissante en termes d’ap-prentissages et de rencontres. Cet évènement était à nouveau une opportunité de discuter d’un sujet qui nous passionne avec d’autres professionnels et de se confronter au terrain ; aux difficultés, joies et réalités éprouvées tous les jours dans les fermes.
La soirée fût riche en aprentissages, abordés sous le prisme d'une étude prospective nous transportant en 2050. Celle-ci imagine une agriculture qui répond aux besoins énergétiques et alimentaires de la société en diminuant au maximum son empreinte carbone. Nous attendons avec impatience les prochaines publications du Shift Project sur le sujet pour affiner encore nos réflexions sur le futur de l’agriculture que nous souhaitons en effet, résiliente et prospère.
Cette soirée était également une occasion pour la Fugea de rappeler aux ministres présent∙es leurs engagements ou encore de les questionner sur des sujets importants pour les agriculteur∙ices. Nous espérons que le gouvernement gar-dera ces échanges à l’esprit pour avancer.
Nous souhaitons finalement remercier toute l’équipe de permanent∙e∙s de la Fugea pour leur accueil chaleureux ainsi que les membres du conseil d’administration qui portent toujours brillamment la voix du terrain.
Matthieu et Judith