RECONSIDÉRER NOTRE SYSTÈME ALIMENTAIRE

Dossier tiré de la Lettre Paysanne, n°99 – mai 2020 – Télécharger le dossier

La crise actuelle n’épargne pas le secteur agricole et chaque filière subit les conséquences de cette situation dont les impacts sont multiples pour l’aval des filières : certains marchés à l’export se ferment, la main d’œuvre dans les entreprises de l’amont et l’aval est confinée, entre autres. L’observatoire mis en place par le Collège des Producteurs permet chaque semaine d’objectiver l’ampleur de la situation. Ces conséquences, les agriculteurs les vivent au quotidien dans leur exploitation. Bien qu’ils continuent à travailler dans les fermes pour maintenir la production, ces derniers sont touchés par la crise. Impact majeur, les prix payés aux producteurs sont déjà à la baisse dans de nombreuses filières. Les producteurs de lait ont par exemple été sommés de baisser leur prix tout en réduisant leur volume de production. La situation est donc tendue, voire insoutenable financièrement pour de nombreuses exploitations. A court-terme, des mesures doivent être prises pour soutenir les filières et les agriculteurs afin d’assurer la souveraineté alimentaire européenne.

Cependant, il est important de souligner que cette crise sanitaire interpelle l’orientation du secteur agricole et alimentaire. Il est difficile de caricaturer le fonctionnement des filières à un seul schéma d’évolution. Toutefois, nous constatons une fuite en avant du modèle agro-alimentaire depuis de nombreuses années. La politique agricole a peu à peu été libéralisée. Les filières agricoles et les agriculteurs sont soumis à la loi des marchés internationaux. Les prix des denrées agricoles dépendent des cours mondiaux et européens. Les agriculteurs sont mis en concurrence avec des productions ne respectant pas les mêmes normes mais pouvant être importées et vendues sur nos territoires. Dans une même logique, certaines de nos denrées envahissent des marchés étrangers incapables de concurrencer des productions subsidiées.

Dans une logique d’échanges débridés, l’industrie agro-alimentaire s’est orientée vers un nombre restreint de filières agricoles stratégiques. En Belgique, certaines filières, comme celles du lait ou de la pomme de terre, sont dédiées à l’export et s’organisent à l’échelle européenne ou mondiale. Sous la pression de l’agro-industrie, notre agriculture s’est spécialisée au fil du temps dans différentes productions. Ces évolutions ne sont pas sans conséquences pour les agriculteurs. Dans les filières conventionnelles, les exploitations deviennent de simples maillons intégrés à des « chaines de valeurs globalisées ». Les agriculteurs sont poussés à se spécialiser et à s’agrandir dans une logique d’économie d’échelle, perdant toute capacité de résilience en période de crise (dans ce marché libéralisé et concurrentiel, la marge de manœuvre est faible).

La crise actuelle révèle les failles de ce système agro-alimentaire libéralisé, spécialisé et mondialisé (voir point 2). Elle nous rappelle la dépendance des exploitations au fonctionnement des filières et à leurs choix stratégiques. Les producteurs n’y ont que peu de pouvoir et sont souvent utilisés comme variables d’ajustement, notamment au niveau des prix. A une échelle plus globale, c’est la résilience de nos systèmes alimentaires qui doit être remise en question. Cette dernière peut se définir comme la capacité d’un système alimentaire et de ses éléments constitutifs à garantir la sécurité alimentaire au cours du temps, malgré des perturbations variées et non prévues[1]. Cette fragilité du système, nous la constatons également et l’illustrons dans ce dossier en exposant certaines failles concrètes. Il est important de souligner que ces dernières sont d’autant plus problématiques dans un contexte de réchauffement climatique, de perte de biodiversité ou de pénurie énergétique.

Face à ces différents constats, les revendications que nous portons à la FUGEA ne s’en trouvent que renforcées (voir point 3). Il faut engager la transition de notre modèle agricole et alimentaire afin de le rendre plus résilient. Ce discours a été repris dans plusieurs cartes blanches portées à la fois par des acteurs de la recherche et par des associations proches du secteur. Certains décideurs politiques ont également fait des déclarations dans ce sens. Des solutions existent et sont listées dans la troisième partie de ce dossier. Leur mise en œuvre nécessite une approche systémique et collective, chaque acteur ayant un rôle à jouer (des producteurs aux consommateurs, en passant par l’industrie agro-alimentaire et le monde politique). Au-delà de la résilience des filières, il s’agit de construire un système alimentaire viable pour son maillon le plus stratégique : vous, les agriculteurs et les agricultrices. Nous en sommes convaincus, cette transition du système alimentaire est nécessaire pour faire évoluer nos exploitations vers plus de résilience sociale, économique et environnementale.

[1] Les Greniers d’Abondance : https://resiliencealimentaire.org/criteres-de-resilience/ 

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